Chapitre 1

Faisons un point — Le GPS n’est pas unique — Tout est militaire — Ravage numérique

Estime de la souveraineté

10 octobre 1991 10 h 43 — Lat. 19° 7’ 7” N Long. 74° 40’ 14” O

Le Rhône10 fait route au Sud, sur une mer « belle à peu agitée » et sous une jolie brise tropicale qui aère sa passerelle. À tribord et à quelques encâblures, l’aviso A69 Enseigne de Vaisseau Jacoubet navigue de conserve. À la poupe, la pointe orientale de Cuba rapetisse imperceptiblement. Nous sommes sortis de la Baie de Guantanamo et dans quelques heures, laisserons Haïti par bâbord avant de mettre le cap sur Fort de France. Je suis de quart, à la passerelle, en charge de la navigation du bâtiment et de son maintien sur la route tracée par le Commandant Alquier. Je sers la Marine Nationale comme Élève Officier et cumule les rôles de Chef de Quart, Capitaine de Compagnie, Officier Artillerie, Officier Aviation. Sur le pont d’envol, une Alouette III, arrimée comme un gros bourdon dans une toile d’araignée, affronte les embruns salés. À son retour à Fort Desaix, elle devra être intégralement démontée, nettoyée et remontée afin de résister aux assauts de la corrosion. À bord, une centaine d’hommes attendent avec impatience le retour à la maison, après trois semaines d’une campagne qui aurait pu mal tourner.

Nous avions quitté la Martinique précipitamment, en raison d’un coup d’État à Port-au-Prince le 30 septembre : le Père Jean-Bertrand Aristide, Président de la République d’Haïti venait d’y être renversé, pour la première fois. Dans cette moitié d’île, aussi pauvre qu’instable, les événements politiques, climatiques ou telluriques prennent tout de suite des proportions catastrophiques ; en l’absence de ressources propres, l’autonomie en vivres et en carburant n’excède pas quelques jours. Le chaos s’y propage donc très rapidement et menace en particulier les expatriés, dont les frigos pleins deviennent très rapidement convoités. Bref, en Haïti, quand ça risque de partir en sucette, la diplomatie se double d’emblée de préparatifs d’évacuation des ressortissants. À Fort-de-France, nous avions embarqué les troupes du 33e Régiment d’Infanterie de Marine, dont nous servions de transport : le Rhône n’avait ni la vocation, ni l’armement d’un navire de combat. Nous n’étions pas seuls : le bâtiment de transport léger Francis Garnier avait écourté son escale à Aruba, tandis que le Jacoubet ralliait d’urgence la zone depuis la Guyane. Durant plusieurs jours et plusieurs nuits, nous avions longé en va-et-vient un « rail » tracé sur la côte sud entre la frontière dominicaine et Jacmel, en attendant les instructions. L’Alouette III effectuait des vols de reconnaissance, prête à exfiltrer des civils en cas d’urgence absolue. La crise semblait se calmer et le COMAR organisa une opération de regroupement à Guantanamo. Nous y fîmes escale pendant 48 heures en vue de ravitailler et de transborder les troupes du 33e RIMA, avant de repartir pour Fort-de-France poursuivre nos missions d’entretien11.

Guantanamo ne deviendra un camp de détention hors du système judiciaire américain qu’en 2002 : elle est pour l’heure la base militaire et navale la plus grande de toute la mer des Caraïbes. Cette enclave de 120 km2, ceignant une baie profonde à la pointe orientale de Cuba, est occupée, via un bail perpétuel, par les États-Unis depuis 1903, en échange d’un loyer mensuel de 4 085 dollars, que les Américains mettent un point d’honneur à régler par chèques adressés au Trésorier Général de la République, et que le régime cubain prend soin de ne pas encaisser… Nous avions croisé, en entrant dans la baie, une flotte impressionnante d’une douzaine d’unités, dont au moins un croiseur à propulsion nucléaire. À terre, Guantanamo était une petite ville fonctionnant en autonomie, munie de tous les attributs d’une base militaire américaine dont l’inévitable McDonalds…

Le Rhône fait donc route au Sud, de conserve avec le Jacoubet. Soudain son commandant appelle en phonie, et à travers la liaison radio courte portée, s’adresse au mien d’une voix grésillante : « Savez-vous exactement où vous êtes sur la carte ? Veux-tu que je te dise si ton midship est sur la bonne route ? Je peux te communiquer ma position GPS si tu veux, et on pourra comparer ! » Le GPS de l’époque a la forme d’une petite valise, de dimensions analogues à celles des premiers téléphones cellulaires, et qui pèse quelques kilos. L’appareil est assez peu répandu dans le grand public. D’abord en raison de son prix, il faut compter environ 3 000 dollars pour s’en procurer un. Ensuite, il n’est pas encore miniaturisé au point de tenir dans un smartphone ou un appareil photo numérique. Enfin, les 24 satellites de ce système de positionnement appartenant au gouvernement des États-Unis, ne sont pas encore totalement opérationnels. Lorsqu’on navigue à quelques centaines de mètres l’un de l’autre, et en pleine mer, il est en revanche tout à fait possible de faire le point ou de vérifier le point fait par le chef de quart au moyen de cet appareil : la précision est largement suffisante. Le Commandant Alquier acquiesce, coupe le micro, note la position que je lui communique, puis demande la position GPS à son collègue et compare : les deux coïncident, mon point est exact et nous sommes bien sur la route !

[…]



Notes

Note 10

Facebook Twitter Linkedin Email Copier le lien Bâtiment de soutien mobile très légèrement armé (3 affûts antiaériens de 40 mm Bofors, construits sous licence suédoise), le Rhône assurait l’entretien des autres bâtiments de la flotte présents sur zone : petites opérations de maintenance sur les grosses unités et réciproquement. Nous étions capables de gruter un moteur de P400 et de le déposer dans nos cales, où une centaine de spécialistes pouvaient intervenir en mécanique, en thermique, en menuiserie, en électronique et en métallurgie. Le dispositif était plus agile et moins coûteux qu’un passage à l’Arsenal Civil ou un retour à Brest ou...

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Note 11

Facebook Twitter Linkedin Email Copier le lien Je ne découvris que 30 ans plus tard, à l’occasion de recherches documentaires, que cette escale avait manqué de déclencher un incident diplomatique, et valu à ses organisateurs une monumentale remontée de bretelles. La France n’a jamais en effet reconnu l’enclave de Guantanamo dans le territoire de la République de Cuba proclamée en 1902 ; le Rhône avait par ailleurs été le premier bâtiment de la Royale à faire une escale officielle à La Havane, en 1988. Sa présence à Guantanamo, dans ce contexte, valait forme de reconnaissance, et c’est pourquoi la demande...

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Note 12

Facebook Twitter Linkedin Email Copier le lien La loi énoncée par le fondateur d’Intel a été jusqu’ici vérifiée bien que l’annonce de sa mort imminente se soit avérée, à plusieurs reprises, prématurée. Le doublement de la puissance de calcul, à paramètres constants, tous les 18 mois a des répercussions profondes à l’horizon d’une décennie : x4 en 3 ans, x16 en 6 ans, x48 — soit presque deux ordres de grandeur — en moins de 10 ans. Chapitre 1

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Note 13

Facebook Twitter Linkedin Email Copier le lien La réception Galileo est disponible par exemple sur les puces Apple A9 et ultérieures, Broadcom, Intel, Mediatek, Qualcomm, Samsung — soit 80 références à fin Janvier 2020 — et déployée dans plus de 275 modèles de smartphones. Source : https://www.usegalileo.eu/accuracy-matters/FR [25 fevrier 2022] on trouve des modules GPS à précision centimétrique, sur base Arduino, autour de 200 euros. Mais ceux-ci sont intégrés et ne proposent pas de puce au détail. 👉🏼 https://www.ardusimple.com/ Chapitre 1

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Note 14

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Note 15

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